TENEBRÆ: vers la lumière
Aleph — Comment ! La voilà donc assise, solitaire, la ville si peuplée, semblable à une veuve,
Beth — Elle pleure, elle pleure dans la nuit, les larmes couvrent ses joues : personne pour la consoler parmi ceux qui l’aimaient
Guimel — Elle est déportée, misérable, durement asservie ; assise au milieu des nations, elle ne trouve pas de repos. Tous ses persécuteurs l’ont traquée jusque dans sa détresse.
Kaph — Son peuple tout entier gémit, en quête de pain ; il troque ses trésors contre de la nourriture, pour reprendre vie
Lamed — « Ô vous tous qui passez sur le chemin, regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur que j’endure."
Mem — D’en haut il lance un feu dans mes os et les piétine ; il tend un filet sous mes pas, il me rejette en arrière ; il me livre à l’abandon, malade à longueur de jour.
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Voici 6 extraits de versets des Lamentations de Jérémie que nous allions vous chanter ce 4 avril dans notre programme de Concert TENEBRAE: ces Leçons de Ténèbres de Couperin résonnent étrangement en ces jours de confinement et d’épidémie. On y voit une ville vidée de ses habitants, la maladie rôde…
Dehors il fait un soleil radieux, le printemps nous parle de Pâques et de renouveau: lumière, bourgeons éclos, profusion de bulbes et cerisiers en fleurs. Les arbres sortent de leur long sommeil d’hiver. Mais dehors on nous parle aussi de malades, de morts, de médecins et infirmiers épuisés à la tâche, de travailleurs qui ont peur de transmettre ce sale virus. "Restez chez vous" est le maitre mot. Sauver des vies, soutenir les soignants en restant chez soi au maximum est paradoxal. Nous, artistes, sommes-là pour dire ou chanter, transmettre quelque chose de la Beauté et il nous faut faire silence.
Alors je lis « Vivre sans pourquoi » d’Alexandre Jollien : itinéraire spirituel d’un philosophe en Corée. Il y évoque le mot « Haetal » …. qui signifie en même temps « se déshabiller » et « faire son salut » « résoudre, défaire, démêler, dépaqueter » et « s’éveiller, parvenir à l’illumination, comprendre » « Enlever son vêtement, se mettre à nu » .
Alors avec lui je conclurai que sans doute ce temps de crise peut nous amener à découvrir que
« Le bonheur n’est pas d’en rajouter mais de sabrer, dégager, simplifier. De repérer ce qui m’encombre et d’avancer nu ».
(Alexandre JOLLIEN:Vivre sans pourquoi, itinéraire spirituel d’un philosophe en Corée, édition du Seuil, collection Points 2015, page 60.):